Article paru dans la revue épisème, de l'association Triptolème, qui oeuvre pour le maintien du patrimoine de biodiversité, hiver 2015 n°26.
DES GRAINS PAR MILLETS
Par Martine Dugué, Association Terra Millet
Jusqu’où serons-nous ingrats avec les millets ? Peut-être est-ce lié à la petitesse de leurs graines, à leurs ports penchés, à l’absence de gluten qui ne nous permet pas de le transformer en un pain bien levé, ou que sais-je….Toujours est-il qu’ils sont victimes d’une énorme injustice, d’une amnésie collective. Qui aujourd’hui se souvient qu’ils ont contribué au développement de nombreuses civilisations ? Les millets ont leur mot à dire, et plus encore : ils savourent leur retour triomphant dans nos assiettes….
LA DERNIÈRE CÉRÉALE À RÉHABILITER
« Pour les oiseaux, les millets ? ». Mon ami militant Narayanna Reddy s’exclame : « mais ici en Inde depuis 10 000 ans au moins, c'est un pilier de notre alimentation. Ils ont de multiples avantages ».
Il m’a fallu voyager si loin, jusqu’en Inde, pour les découvrir et m’en régaler. Un délice, cette « ragi ball » qui trône dans mon assiette. Si bien que, de retour en France, ces petites graines ne m’ont plus quitté.
Les millets ont été domestiqués par l’homme et considérés comme plante sacrée, depuis la prime aube des civilisations. Au moyen-âge, en France, ils étaient plus consommés que le blé ! La Vendée fournissait encore la moitié de la production nationale jusqu’entre-deux guerres, et jusque dans les années 50 chaque ferme lui réservait des sillons.
POURQUOI UN TEL DECLIN ?
Nous pouvons avancer plusieurs hypothèses. La principale concerne la forme sous laquelle il est consommé, en bouillie, qui ne le met pas en valeur. Il est malgré tout resté populaire en Vendée sous forme d’un laitage sucré, indissociable des grands rassemblements, comme les repas de battage ou les mariages. Sans gluten, il est moins aisé à panifier, et comme le blé noir, il en a souffert.
Deuxième explication : Ils se contentent de terres peu fertiles, et ont au fil du temps été assimilés à la céréale du pauvre. Les millets sont devenus une céréale dite « secondaire », ils étaient relégués là où on ne peut faire de culture à valeur marchande, comme le blé. Ils étaient essentiellement auto-consommé et ne faisaient pas office de monnaie de change. La Révolution Technologique les a définitivement balayés de notre paysage agricole.
POURQUOI LES RESTAURER?
Face aux nouveaux défis : réchauffement climatique, appauvrissement des sols, surexploitation de l’eau, coûts en hausse (intrants et produits de traitement), les millets ont toute leur place.
Une culture adaptée aux pénuries en eau
Nous nous dirigeons vers un futur avec des problématiques liées au réchauffement. Il parait donc logique de miser sur des cultures moins gourmandes en eau et plus résistantes à la sécheresse, ce qui est le cas des millets. Il occupe les sols en été, quand l’évaporation est à son maximum.
Diversifier les cultures
Les millets ont aussi la capacité d’occuper le sol à des périodes où les autres plantes ne poussent plus. Ils permettent de diversifier l’assolement.
Une culture simple, sans traitements ni intrants
L’itinéraire technique des millets est simple avec un démarrage rapide de la culture, une absence de fongicide et un besoin azoté faible (au maximum 80 unités d’azote en un ou deux apports). La culture est rapide (3 mois, de mi-juin à mi-septembre), et facile (pas d’arrosage, peu de passages pour désherber). Ils versent peu, et donnent un fourrage de choix.
Type de sol : léger à mi-lourd ; ils supportent mal les sols lourds et les eaux stagnantes; ils sont sensibles au gel tardif.
Rendements : de 1,5 à 3 tonnes/hect selon les années ; la quantité de grains dans la panicule se détermine à 3-5 feuilles. Il est donc très important de maîtriser les adventices et d’avoir apporté l’azote nécessaire avant que la plante n’arrive à ce stade. Ne transmet pas la fusarium. Ne requiert aucune machine spécifique.
Témoignage d’un paysan qui pratique le non-labour (Midi Pyrénées):
« Le millet est très intéressant sous couvert car il est alélopathique (aime bien être tout seul). Je monte un atelier dédié au décorticage du petit épeautre, mais qui peut également servir pour le sarrasin, le millet, etc…Pour le séchage, le fait de le semer en cultures associées carthame-millet et luzerne-millet permet de gagner quelques jours supplémentaires de séchage au champs. Je le pratique sur le sarrasin depuis 3 ans, et cela marche très bien. Après j’ai un stockage qui permet de trier, calibrer, ventiler, et éventuellement, sécher (brûleur à gaz) ».
Il y a également des expériences de semis avec du sarrasin.
DE NOMBREUSES PERSPECTIVES
De nombreuses études sont réalisées afin d’adapter les millets à de nouvelles habitudes alimentaires. Les millets représentent une famille très diverse : Panicum Milliaceum (notre millet occidental), Teff, Fonio, Ragi, Sorgos alimentaires ou non (par assimilation ; les sorgos étant une autre graminée), et bien d’autres !
Ils se déclinent déjà sous de nombreuses formes sur le marché : grains décortiqués, concassés, farine, yaourt, crème, lait…qui permettent de nombreuses recettes. Nous vous donnons rendez-vous sur notre site www.terramillet.com pour les découvrir. Vous pourrez également visionner notre documentaire « des millets dans mon assiette », une réflexion sur l’importance des millets pour la souveraineté alimentaire de l’Inde, avec un écho à l’occident.
Un travail de sauvegarde de semences qui ne fait que commencer
Peu de travaux ont été à ce jour réalisés autour des variétés anciennes. Jusqu’à présent les principaux semenciers et l’INRA ne s’en préoccupaient guère. Depuis un an, Terra Millet travaille à la création d’un réseau en lien avec des plateformes et des adhérents du Réseau Semences Paysannes. Il subsiste peu de variétés françaises ; nous avons contribué à sauver in extremis de la disparition deux d’entre elles. Nous nous tournons aujourd’hui vers l’Est de l’Europe, la Chine, l’Inde et l’Afrique pour l’introduction d’autres variétés.